Charles Philibert-Thiboutot

1500m//5000m Club d'athlétisme de l'Université Laval, Québec

Si seulement je pouvais arrêter le temps

Un point commun unit tous les coureurs aux championnats du monde : l’ardeur au travail. Chaque athlète a son histoire; le kenyan qui courait pour aller à l’école à l’âge de 9 ans, l’Européen qui s’est mis à  l’athlétisme après avoir connu peu de succès dans les autres sports, l’américain qui a affuté ses tactiques dans le circuit NCAA, le maghrébin pris en charge très jeune dans un groupe d’élite; on pourrait en nommer des centaines. Des histoires fascinantes, hors du commun, souvent pleines d’embuches.

Le fil connecteur à tous ces récits de vie est bien simple : le travail. Chez la crème de la crème, le niveau ultime de performance en athlétisme, personne n’est paresseux. Personne ne laisse rien au hasard. L’intensité du travail accompli pour atteindre ces performances tend vers l’inhumain.

C’est ce qui est si fascinant avec le sport. Avec une intensité inégalée au travail vient une reconnaissance et une charge émotionnelle immense quand les objectifs sont atteints.  Les entrainements et le mode de vie sont éprouvants, physiquement comme mentalement, mais pour ce mal rien n’égale ce qui nous attend lorsque les objectifs sont atteints.

Je crois qu’on peut l’affirmer : j’ai eu une saison de rêve. J’ai parcouru le globe pour courir, j’ai vécu toutes sortes de péripéties pour entrer dans les rencontres de Diamond League, j’ai couru un standard olympique, j’ai décroché le bronze aux Jeux Panaméricains à la maison et j’ai terminé ma saison avec une demi finale et une 15e place aux championnats du monde d’athlétisme.

Cependant,  le début de saison était plus ardu que prévu. Après être entré d’urgence à l’hôpital en mars pour des saignements digestifs, après avoir été malade à mon camp en altitude à Flagstaff en avril et m’y être foulé la cheville deux fois, après m’être envolé en Europe pour la première fois sans même savoir si on allait m’accepter dans les compétitions, le moral est parfois bas et l’incertitude s’installe.

Face à tous ces difficultés qui, malheureusement, on ne peut pas contrôler, il n’y a qu’une chose à faire en tant qu’athlète : travailler plus fort. Faire tout en notre possible pour gagner la forme perdue, tout faire pour remonter au sommet. Avoir une confiance totale en ses propres capacités et les objectifs émis, peu importe ce qui se retrouve sur notre chemin.

Il ne va donc pas sans dire que, après quelques semaines plus difficiles, d’avoir une série de solides performances remettait vraiment le moral à la bonne place. En fait, je ne sais pas si parler de moral est bien juste; j’ai vécu sur un nuage d’extase à quelques reprises dans les dernières semaines et je n’ai jamais autant eu le sentiment que le travail accompli portait fruit. C’est comme ça en sport; du jour au lendemain, tout peut basculer.

Ces émotions vécues étaient d’une intensité si forte que maintenant, en regardant les événements avec un certain recul, je me trouve privilégié de vivre ces expériences. Si privilégié que parfois, j’aurais voulu arrêter le temps pour savourer le moment; ou encore téléporter mon coach ou ma famille pour partager certain de ceux-ci qui étaient des plus poignants.

Peu de mots peuvent décrire comment je me sentais quand je suis allé m’assoir en retrait à Monaco, dans un décor majestueux, incrédule, sous le choc, quand j’essayais de me convaincre que je venais de courir le standard olympique. Un moment de solitude si intense, que j’avais pourtant seulement envie de vivre avec mes proches. La réalisation d’un objectif de vie, rien de moins.

Puis sont venus les Pan Am, où des circonstances parfaitement alignées créaient un événement très spécial en soi : avoir la possibilité de courir dans un événement majeur, devant une grande foule, dans son propre pays, devant famille et amis, et avoir une chance de médaille. Ce sont des circonstances qui ne se représenteront probablement jamais, et l’opportunité a été saisie : faire un tour de victoire avec le drapeau canadien, devant une foule 95% canadienne, ce fut un honneur incroyable. Sentir la fierté d’une foule de quinze mille personnes à travers ses propres performances, c’est magique.

Ou encore, marcher sous les gradins dans la chambre d’appel du Nid d’Oiseau à Pékin pour sentir le stade vibrer et entendre les cris de près de cinquante mille personnes. Défiler comme des gladiateurs en queue vers le stade grandiose, le lieu de bataille. Faire son entrée dans le stade, sous les lumières dans la lueur du soir, et contempler le spectacle, avant de devenir soit même l’objet du spectacle. Ce sont grâce à des expériences comme celles-là que l’on vient à comprendre toute cette frénésie derrière le rêve olympique : avoir la chance de devenir un dieu du stade.

Je dois également ajouter que dans cette saison bien remplie, ces évènements étaient tous des premières fois. En effet, des étapes que certains athlètes échelonnent sur parfois plusieurs années. Tout apparait plus grandiose, plus imposant, plus important quand on vit quelque chose d’éprouvant pour la première fois. Première Diamond League. Premier standard olympique. Première médaille globale. Premier championnat du monde.

Est-ce que cela signifie que ce qui m’attend dans le futur aura moins d’importance? Bien sur que non, et c’est ce qui fait que je vais m’améliorer en tant qu’athlète dans les prochaines années. Ces expériences vont me définir à jamais mais également me préparer à attaquer ce qui s’en vient. Maintenant que je les ai vécues, je dois m’élever au niveau de performance et bâtir sur ce nouveau point de départ. Je me suis longtemps considéré comme quelqu’un qui venait de loin, qui avait peut-être moins de talent que les coureurs qui m’entourent aux championnats du monde. Cette saison m’a prouvé que je dois laisser ce complexe derrière moi, et qu’à partir de maintenant, je suis d’égal avec mes adversaires et que seul mon travail et ma préparation sauront faire la différence.

Je crois que je vais toujours me souvenir de l’été 2015 comme la saison où j’aurai gouté à l’extase de vivre ses rêves, où j’aurai vécu pour la première fois les moments qui sont à la base de la motivation intrinsèque des athlètes olympiques, où j’aurai repoussé mes propres limites plus loin que je ne l’aurai imaginé, et où le sport m’aura fait à la fois pleurer de rage et de joie. Ce seront probablement de mes souvenirs les plus riches qui vont me définir comme personne à jamais. Même si je me dois continuer à aller de l’avant en me donnant de nouveaux standards, cette rapide montée dans l’élite mondiale restera toujours gravée dans ma mémoire de par son intensité et sa signification dans ma carrière athlétique.

Maintenant…un repos bien mérité de trois semaines est à l’horaire, pour soigner ce corps que j’ai maltraité à l’entrainement et en compétition dans cette année si chargée. Mais après, c’est de retour au travail, tout comme le kenyan, l’européen, l’américain et le maghrébin qui se retrouveront sur la ligne de départ contre moi À Rio.    

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