Charles Philibert-Thiboutot

1500m//5000m Club d'athlétisme de l'Université Laval, Québec

Le Boxer

«Dans la clairière se tient un boxer, un combattant par métier

Et il traîne avec lui les cicatrices

De tous les coups de poing qui l’ont coupé

Et mis à terre jusqu’au point où il a pleuré

Dans sa rage et sa honte « je quitte, c’est fini»

Mais le combattant est toujours là»


Ceci est une traduction libre du dernier couplet de la chanson «The Boxer» de Simon and Garfunkel. Une chanson qui a une grande valeur sentimentale pour moi puisque ma maman me la chantait au lit lorsque j’était un tout jeune garçon. Mais ce n’est qu’à une écoute récente, encore miné par la rechute d’une blessure, que le message que portait cette chanson m’a soudainement frappé.


Je vais l’avouer publiquement pour une première fois: être coureur de métier, ce n’est pas facile. J’ai longtemps pensé que c’était tellement un privilège qu’il serait déplacé d’en parler ainsi. J’ai toujours voulu cacher mes peines et mon désespoir parce qu’à mes yeux, c’est une chance que peu de personne ont de faire du sport comme carrière; et je sais que plusieurs autres athlètes se sentent ainsi aussi.


On peut penser que la course en soit, «la punition des autres sports», ou encore l’essence même de l’épreuve d’endurance où on flirt avec la douleur jour après jour, est assez pour constituer la définition d’un métier, un sport difficile.


Si seulement ce n’était que ça.


Être coureur de métier pour moi aura été d’être blessé plusieurs mois par année et de voir mes résultats en prendre en coup. Ça aura été de combattre les démons qui viennent me hanter quand je me réveille le matin, et que j’ai peur de sortir du lit parce que je sais qu’une partie de mon corps va me faire profondément mal et m’empêcher d’accomplir la seule tâche que je suis supposé faire. Ça aura été de manquer 3 championnats du monde, les Jeux Panaméricains et les Jeux du Commonwealth à cause des blessures. Ça aura été de vivre jour et nuit avec une anxiété de performance, alors que je suis toujours physiquement limité par la douleur pour être prêt à temps pour la saison.


Une blessure au pied que j’ai depuis le mois de mars vient de mettre fin à ma saison 2019. En plus d’une blessure au tendon d’achille qui m’a empêché de courir pendant 8 semaines cet automne, pour la première fois de ma vie, je passe plus de la moitié d’une année sur le carreau.


J’ai encore perdu un round, mais le combat n’est pas fini.


Ça arrive à tous les coureurs de faire face aux blessures. Pour moi, depuis 2016, ça aura été sans arrêt. La plus longue séquence que j’aie pu compléter à l’entraînement sans avoir de blessure est d’environ 3 mois. Un contraste assez exceptionnel quand on compare mon ascension dans le sport de 2010 à 2015, où la constance était une de mes forces.


J’ai la conviction au fond de moi que je peux être un des meilleurs coureurs au monde. C’est un rêve qui est encore bien présent et qui revient à chaque fois que je gagne du momentum. Un momentum qui, malheureusement, ne dure jamais bien longtemps et brise mes plans à court ou long terme.


Comment suis-je supposé m’accrocher à ce rêve alors que des coureurs tout autant (sinon plus) talentueux que moi s’entraînent toute leur vie, sans blessure ou revers majeur pour les ralentir dans leur progression, et ne réussissent jamais à atteindre un podium aux Jeux Olympiques?


Sans parler de ceux qui ne se blessent pas, et qui en plus trichent en se dopant. Encore une fois, c’est une majorité qui ne se rend même pas proche d’un top 5 mondial.


Les dernières années n’ont pas été faciles. J’ai pleuré de rage, et chaque blessure semble m’envoyer dans un gouffre qui semble de plus en plus profond. Mais je m’accroche au rêve. Donnez moi 12 mois où je serai en santé, et qui sait…


Je sais pertinemment que lorsque ça va bien, c’est un privilège de pouvoir être un athlète de haut niveau. Même si je porte de lourdes cicatrices physiques et émotionnelles à cause de la course à pied, je sais que les triomphes que l’on peut vivre vont toujours avoir plus de poids que ces les moments plus sombres quand tout sera fini.


Toutefois...jusqu’à quel point est-il acceptable de continuer à se battre sans vraiment avoir de triomphes?


Je me pose la question. J’y répondrai plus tard. La vérité est que je n’ai pas envie d’y répondre maintenant. Je crois qu’il encore temps pour moi de me battre. J’ai encore perdu un round, mais le combat n’est pas fini. Après tout, comme le chante Paul Simon plus tôt dans la chanson:


« Mais encore un homme entendra ce qu’il veut entendre,

et négligera le reste»


P.S. Ceci n’est pas un cri à l’aide. J’ai une équipe médicale et de coaching incroyable qui me suit et nous faisons tout en notre pouvoir pour minimiser les chances de blessures. J’aimerais les remercier ainsi que mes commanditaires, ASICS, Sportium, Polar, et Eye Am qui me supportent inconditionnellement dans cette aventure.


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