Charles Philibert-Thiboutot

1500m//5000m Club d'athlétisme de l'Université Laval, Québec

Le dopage - mon grain de sel

Dure période pour les sports olympiques. Les athlètes se battent à chaque jour pour faire gagner de la reconnaissance à leur sport qui, bien trop souvent, jouit d’une mince couverture dans une courte fenêtre aux quatre ans. Aussi difficile que ce l’est de se faire valoir, le mouvement olympique doit également lutter contre une très mauvaise presse qui rage dernièrement en lien avec le dopage.

Avec les nouvelles récentes sur le dopage– re-test de centaines d’échantillons des Jeux de Londres et Pékin, la culture du doping en Russie, Lucian Butte, et j’en passe- on m’a demandé mon avis à quelques reprises dans les dernières semaines dans plusieurs médias. Et c’est toujours avec plaisir que je prendrai parole pour défendre un sport propre et émettre mon opinion sur le sujet.

Cependant…

Ma dernière contribution dans un média fut une entrevue à l’émission d’Isabelle Maréchal au 98.5 fm (station de Montréal) le vendredi 27 mai où, pour introduire la problématique, Mme. Maréchal questionne les auditeurs ainsi : « avec toutes les nouvelles accusations, est-ce que ça vous donne moins envie de suivre les athlètes qui prendront part aux Jeux de Rio?»

Je dois avouer que j’ai été sidéré par cette interrogation lancée au publique. J’ai réalisé à ce moment à quel point le sport olympique fait face à une presse extrêmement négative et que le public est exposé à une hypocrisie médiatique qui crée une distorsion dans les opinions.

Je m’explique.

Sports professionnels et amateurs; deux poids, deux mesures

La majorité des sports olympiques n’ont qu’un seul moment d’antenne et de reconnaissance publique aux quatre ans, et c’est aux jeux. On questionne maintenant si on devrait continuer à s’intéresser à ceux-ci dans cette période déjà bien trop courte. Pourquoi? À cause des actes de tricherie commis par une fraction minoritaire des athlètes.

Est-ce que quelqu’un a déjà posé la question si on devait arrêter de regarder la NFL, LNH, NBA et LMB parce qu’une partie des athlètes professionnels se dopent? Non, et ce n’est même pas un enjeux, parce que le public «aime tellement ces sports». On va parler des sous-vêtements de PK Subban au milieu du mois de juin pendant des heures en boucle, mais on n’ose même pas mentionner un résultat de coupe du monde ou de compétition majeure dans des sports olympiques (Judo, triathlon, vélo, natation, athlétisme…etc.).

Et maintenant, en cette année olympique, … on suscite du désintérêt à cause du dopage? Pourquoi ne pas poser la même question par rapport aux sports professionnels?

Quelques faits : la très grande majorité des athlètes olympique font partie d’un programme de dépistage dans lequel ils doivent donner leur adresse ainsi que leurs déplacements trois mois à l’avance afin de permettre les tests hors compétition. Oui – trois mois – ce n’est pas une faute. Les athlètes olympiques peuvent se faire tester jusqu’à une vingtaine de fois dans une année. Plusieurs championnats ont également des systèmes d’échantillonnages systématiques – ce qui veut dire que la très grande majorité des participants se font tester.

Aucun système de dépistage du genre n’est en place dans le sport professionnel. Les tests – qui ont lieu seulement en compétition – sont très limités. Les ligues professionnelles ne sont pas sujettes au code mondial de l’anti dopage et elles gèrent donc elle même la problématique avec, franchement, peu de rigueur.

 Les sanctions y sont bénignes comparées à celles d’un athlète olympique; un contrôle positif amène dix matchs de suspension dans la NBA, alors qu’un contrôle positif dans les sports olympiques amène deux ans[1]. Il est bien plus facile de retourner au jeu après «un congé de dix parties»,  qu’après deux ans en dehors du circuit, après avoir été passé publiquement dans la boue.

Le dopage dans les sports professionnels est tout aussi présent que dans les sports olympiques et, pourtant, on ne fait pas un plat avec ça.

Il faut toutefois comprendre : mon point ici n’est pas que les mesures prises contre nous sont injustes; je supporte fortement le mouvement qui veut des suspensions à vie pour certaines substances. Je suis d’avis qu’on devrait avoir une tolérance 0 envers les tricheurs, et ce, peu importe le sport.

Le point est que le système présentement en place banalise l’utilisation de substances illicites dans le monde du sport professionnel, alors qu’il amplifie cette même utilisation dans le monde olympique.

L’impact de ce système? On en vient à discréditer les athlètes, encore une fois. La majorité des athlètes amateurs font face déjà à tellement de difficultés; autonomie financière, mode de vie strict, stress physique et mental constant et, malheureusement, concourir contres des dopés… La bataille pour notre crédibilité n’en est pas une qui devrait nous brûler autant d'énergie.

S’il vous plaît, au nom de tous mes compatriotes, je vous demande d’apprécier l’olympisme et ses valeurs, ainsi que les exploits presque inhumains qui auront lieu aux Jeux cet été.

Même si la une nous dit le contraire depuis quelques mois, il est possible d’exceller et d’être «clean». Il n’y a rien de plus beau qu’un athlète propre qui prévaut sur le dopé. Et, sur une note positive, les olympiens et les athlètes sont des gens qui démontrent une détermination exemplaire sur une base quotidienne, tant à l’entrainement que dans les petits détails de la vie. C’est ce qui fait de nous des champions et des gens d’ambition. Si seulement on pouvait mettre le focus là dessus.

La banalité de la phrase : «Oui, je vais courir contre des dopés»

Ces mots que j’ai prononcés en entrevue et qui ont servi de titre ont fait hausser bien des sourcils- plus que je ne l’aurai imaginé. Oui, malheureusement, je vais courir contre des dopés aux Jeux, et également sur le circuit en Europe.

C’est une réalité bien triste mais je dois faire avec.  Je ne suis pas dans les laboratoires en train de développer des techniques de dépistage, je ne suis pas une police qui se doit de prendre les tricheurs la main dans le sac, et je ne suis pas l’autorité qui décide du sort de ceux-ci.

Cette réalité n’est pas une défaite pour moi. J’ai une tendance à toujours chercher le positif dans une situation difficile, trouver l’élément qui change la perspective d’un événement afin de mieux me faire avancer. Dans ce cas ci, j’y vois une motivation, et ce n’est pas avec le drapeau blanc que je me présente sur la piste.

Il y a une chose que je sais très bien faire : courir.

Je crois fermement qu’avec beaucoup de travail acharné, de la volonté et un peu de «karma», je peux battre des athlètes dopés. Pour un tricheur, le pire sort qu’on puisse lui réserver, mis à part se faire prendre, c’est la défaite, et une défaite propre et intègre.

Je pense aussi que d’en faire autant est ma meilleure manière de militer pour le sport propre : garder espoir que je peux faire partie des meilleurs sans me doper. Prouver au monde que c’est possible, et qu’il faut effacer cette préconception que les drogués sont imbattables.

Oui, c’est une triste réalité de penser que je vais courir contre des dopés. Mais si je m’abattais sur mon sort jour après jour à me dire que c’est perdu d’avance, que devient la motivation? Intrinsèquement, je suis un coureur parce que je peux être compétitif, et c’est cette compétition qui me pousse à me lever à tous les jours et travailler avec acharnement à l’entrainement.

En attendant que les tests de dépistage et les systèmes de contrôle devancent les tricheurs, le moins que je puisse faire, c’est de me dire que je suis d’égal avec tous mes compétiteurs sur la ligne de départ, qu’ils soient dopés ou non. Et dans l’éventualité où je surpasse un tricheur (ce qui est déjà arrivé dans le passé)… «joke’s on you, pal.»


[1] Alexandre Ferret, «Ce dopage dont personne parle», Le Point, www.lepoint.fr/sport/ce-dopag⁠…

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